Invité par l'Unesco et le Centre des Libertés à Doha pour le 3 mai, journée mondiale de la liberté d'expression, je devais me rendre le 1er mai, fête des travailleurs, au Qatar. A 11h05, comme n'importe quel voyageur, je me présente à l'enregistrement. D'entrée, l'enregistreur m'énumère mes écarts : pas de visa, pas de billet de retour, pas de réservation dans un hôtel.
"Mince, c'est foutu!", comme me le dira, juste après, le Grand Ponte du Centre de Doha. Contactée, Sarah la belle - une aide de camp de Ménard, je présume - me toise :-Taoufik, tu n'as pas envoyé ta fiche d'embarquement, ni une copie de ton passeport aux Services de l'Emigration d'ici!- Non, non ma belle, j'ai bien effectué ces formalités…- Donne-moi cinq minutes et je te rappelle. "
Cinq minutes sont passées…dix…vingt. L'avion décolle et je reste en rade."Désolé Taoufik. J'ai ameuté la terre entière. En vain.", me dit-elle.
Un faux départ. Comme la plupart de mes départs. Surtout pendant les fins d'avril et les débuts de mai. Ils sont terribles. "C'est un problème d'hormone", expliquent les ulémas. Les fauves, les carnassiers, les prédateurs, les flics s'excitent. Et je n'ai rien pour calmer la bête. Même pas un derrière. Tout juste la bedaine de Sancho Pança. Le 28 avril 1999, j'ai été empêché par les Services Spéciaux, les SS, qui ont fait disparaître la page 28 de mon passeport. Le 3 mai 2000, je n'ai pas de passeport. Tout simplement. Il a fallu que je sois une image planétaire, pour que Ben Avi me le rende…
Après l'Algérie, le Maroc, l'Egypte, le Liban, voilà que le Qatar m'est interdit. Il n'y a que Ben Avi qui me tolère encore…
Mais est-ce qui a mal tourné, cette fois-ci? M'ont-ils confondu avec un mexicain? Suis-je porteur de la grippe A ? Je mange hallal, wa'llahi. Je ressemble peut-être au commandant Marcos. Mais il est tout le temps cagoulé! A Pancho Villa à la rigueur. Vive Zapata.
Ben, alors? Qu'est-ce qui a grippé ? Quand ils disent bleu, moi je vois rouge, Sarah voit jaune, Ménard voit vert, Ben Ali voit violet, ma femme voit tout noir et ma mère décédée, voyait tout en rose. Certains voient autre chose que des couleurs : des tractations, des coups bas…
Demain, c'est samedi. De Paris, un ami algérien qui ne fait pas le sabbat m'éclaire : "Taoufik, il y a le représentant tunisien à l'Unesco qui a tout fait pour que tu ne partes pas!" Point à la ligne.
Ils m'ont empêché de partir, parce qu'ils savaient que j'avais d'autres visées en tête que de célébrer la liberté d'expression. Au diable la liberté, puisque j'ai l'expression. L'expression à la vie, à la mort. Je comptais passer à El Jazira et surtout dénicher une planque. Depuis dix ans, l'âge des chiens, fils de chiens, je suis au chômage. Sur la paille. Pas de salaire. Ils ont déjoué mes plans. Il fallait être plus discret à l'avenir. L'avenir, je m'en tape.
Taoufik Ben Brik - Le Nouvel Observateur - 03 Mai 2009
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